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quatrième et dernière ligne, la contrainte intérieure, qu’on peut désigner, d’une façon apparemment contradictoire, la contrainte volontaire. C’est le devoir que nous nous imposons nous-mêmes, volontairement et librement.

Tous ces besoins forment une hiérarchie où chacun occupe une place déterminée, correspond à un degré de développement déterminé et possède une valeur correspondante. Il y a inégalité des besoins au point de vue de leur valeur morale. Les uns sont supérieurs, les autres inférieurs.

Le besoin de créer, d’agir, dont nous avons déjà parlé, produit à l’aide de notre imagination un « moi idéal », qui forme un élément relativement constant dans l’éternel va-et-vient de nos sensations, impressions et désirs. Ce moi idéal, c’est la « dignité personnelle ». C’est la valeur morale que l’homme s’attribue à lui-même et à ses semblables. La personnalité humaine se dédouble. Le « moi réel » respecte le « moi idéal » qui n’existe que dans ma conscience. Le besoin d’unité et d’harmonie a provoqué ce moi idéal. Chez Kant, ce même besoin est la cause du moi psychologique, de cette notion de la personnalité qui accompagne chacune de nos actions, ou, pour mieux dire, chacun de nos actes dont nous nous croyons les auteurs responsables.

Cette dignité personnelle marque une certaine supériorité de notre individualité. C’est une sorte de divinité laïque que nous nous sommes créée en nous-mêmes et envers laquelle nous contractons certaines obligations. Nous disons, par exemple, que tel acte correspond ou ne correspond pas à notre dignité.


III

La notion de la dignité personnelle est variable. Elle change ses formes et son contenu au cours de l’évolution historique. D’abord l’homme trouve que, seule, la vie selon la coutume de son milieu, la vie « comme tout le monde » peut réaliser sa dignité personnelle. Plus tard, il met sa dignité dans les jouissances grossières, dans l’oisiveté, dans la domination sur les autres. Il identifie sa dignité avec le nombre de victoires remportées sur l’ennemi, avec la quantité de têtes abattues. Ensuite, il trouve sa dignité dans l’accumulation des richesses, dans une spéculation financière réussie, dans le jeu savant d’une intrigue diplomatique, etc. Avec le développement de la sensibilité affective, la dignité personnelle se confond avec la piété qui humilie la dignité des autres ou avec le sacrifice de soi qui rabaisse