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sente un monde à part qui se distingue du monde objectif, le règne du déterminisme aveugle. L’application de la méthode subjective en histoire et en sociologie est motivée par trois catégories de considérations. D’abord, il est impossible pour l’historien ni de retenir, ni de s’occuper de tous les faits. Il est absolument nécessaire qu’il en fasse un choix, une sélection, selon leur importance relative. Or, quel est le critérium grâce auquel l’historien déterminera l’importance d’un fait ? Le nombre des individus qui s’y intéressent ? Dans ce cas, il faudrait proclamer le fait d’une maladie épidémique plus important que la propagande réformiste de Huss. L’opinion des contemporains ? On mettra alors l’éclectisme d’un Cousin au-dessus de la philosophie d’un Auguste Comte. Les guerres de l’empire romain avec ses voisins apparaissaient aux contemporains plus importantes que le développement de l’église chrétienne des deux premiers siècles de notre ère. Tout critérium objectif devient donc impossible ; il ne reste que le critère personnel de l’historien, conditionné par le degré de son développement intellectuel et moral. Nous sommes donc ici dans le domaine de la méthode subjective. Le narrateur naïf des Chroniques marque les faits qui lui paraissent les plus importants et rejette les autres. Un historien poète qui cherche à donner un tableau vivant du passé, à ressusciter les choses mortes, s’attachera de préférence aux faits de nature à frapper tout particulièrement l’imagination ou susceptibles de rendre plus exactement la physionomie de l’époque. L’historien philosophe ne réunira que les faits qui justifient son point de vue théorique, qui prouvent son système.

Il y a une autre justification de la méthode subjective. En étudiant l’histoire, nous considérons certains phénomènes comme normaux et naturels, d’autres comme anormaux ou pathologiques. Nous sommes encore ici en plein subjectivisme. Les uns considèrent comme normal tout phénomène historique qui tend à l’accroissement de la solidarité humaine, sans se préoccuper si le statu quo social, l’ordre établi en souffre ou non. Les cas contraires seront considérés par cette catégorie de penseurs comme cas pathologiques et anormaux. Ce sont les révolutionnaires. Le conservateur au contraire est incliné à juger chaque mouvement révolutionnaire comme un cas pathologique, anormal.

Il n’existe pas de critérium objectif acceptable pour tout le monde pour déterminer ce qui est normal ou anormal dans le processus historique et social. L’ère capitaliste a été considérée par les utopistes comme un état pathologique dont les sociétés modernes sont les victimes ; tandis que pour un partisan du socialisme scientifique, l’époque capitaliste est une phase nécessaire de l’évolution. L’irréligion et la lutte entre le dogmatisme et la science présentent d’autres exemples