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préparé le milieu cosmique qui contient la possibilité de l’histoire humaine, et en a créé le terrain. Toute une série des lois biologiques, physiologiques et psychologiques résume les conditions préparatoires, inévitables et fatales, qui précèdent sur la scène cosmique l’apparition de l’homme issue de l’évolution du monde inorganique. Nous ne saurons jamais quand et comment l’évolution cosmique et organique a abouti à la conscience humaine. La seule chose que nous sachions, c’est que cette origine n’a rien d’arbitraire et que la conscience, comme phénomène psychique, ne peut se réduire exclusivement aux lois mécaniques. Elle contient un X irréductible, un fait nouveau que ni le mysticisme religieux ni la métaphysique, devenus survivances à l’heure actuelle, n’ont su ni comprendre ni expliquer. La méthode scientifique seule résoudrait le problème — si elle le pouvait.

Or, ce même déterminisme fatal et inévitable, qui a produit le milieu cosmique, le milieu organique et a fait de l’homme doué d’un cerveau « le roi de la création », provoque dans l’homme même la nécessité pour lui de se poser certaines fins et de considérer certains éléments de son milieu comme autant de moyens nécessaires à la réalisation de ces mêmes fins. La conscience humaine, une fois créée par le processus aveugle du déterminisme universel, a des propriétés spéciales, sa nature à elle.

Il résulte de cette nature que l’homme se considère nécessairement comme un être agissant en vue de certains buts à atteindre, à l’aide de tout un système de moyens appropriés. L’homme-produit devient créateur à son tour. L’homme-effet devient cause. Il se croit libre tout en sachant qu’effectivement ses actions sont déterminées par une chaîne de causes qu’il est impuissant à briser. Il se considère comme moralement responsable. Il se proclame une personnalité morale, et non pas seulement un phénomène naturel qui n’a de comptes à rendre à personne. Cette liberté, dira-t-on, n’est qu’apparente, éphémère. Mais est-ce que l’apparence n’existe pas ? Est-ce que le mouvement apparent et visible du soleil n’est pas un fait au même titre que son immobilité réelle. Le témoignage des sens a sa valeur comme celui de la science. L’homme agit comme si le déterminisme mécanique n’existait pas. Il agit non en automate, mais en appareil volontaire, en appareil qui pense, deux termes qui se retrouvent souvent dans les dernières œuvres de notre philosophe. L’homme est libre en tant qu’il agit et cherche à réaliser son idéal à lui. La liberté devient ainsi chez Lavroff un des effets de la nécessité. Elle n’est pas pourtant objective. Elle est purement subjective et n’a de valeur que comme fait de conscience. Nous ne sommes libres qu’en tant que nous nous croyons libres.

Lavroff aboutit ainsi à une méthode subjective. L’histoire pré-