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Qu’il signe le premier, lui, parmi des ballots,
Naguère sur nos bords jeté nu par les flots !
Eh ! quoi ! jusqu’à ce point Rome est-elle avilie ?
A-t-on de tous ses droits dépouillé l’Italie ?
Et ne serait-ce plus un bienfait du destin,
Que d’avoir vu le jour sur le mont Aventin ?
Ajoutez que ces gens, en fait de flatterie,
Ne mettent point de borne à leur effronterie.
Tout défaut avec eux se change en qualité,
L’ignorance en savoir, la laideur en beauté ;
Les sous durs et perçants de cette voix plus grêle
Que l’aigre chant du coq mordillant sa femelle,
Il les trouve remplis de grâce et de douceur,
Et cet homme au long col, efflanqué, sans vigueur,
C’est Hercule, en dépit de la terre irritée,
Étouffant dans ses bras le redoutable Antée.
Nous aussi nous pourrions admirer tout cela ;
Mais l’honneur d’être cru n’est que pour ces gens-là.
Et quel comédien leur serait comparable ?
Voyez de ce bouffon le talent admirable ;
Voyez-le tour à tour représenter Chloris,
Jouer une matrone ou nous montrer Doris,
Lorsque du sein des flots elle sort toute nue.
Ce n’est plus l’histrion qui frappe notre vue,
Il a changé de sexe, et, d’un œil curieux,
Le spectateur trompé par cet art merveilleux,
D’une virilité qui ne tient plus de place,
Au-dessous du bas ventre en vain cherche la trace ;
C’est la nature même ! et pourtant Stratoclès,
Hœmus, Antiochus, ces acteurs si parfaits,
Sur le moindre des Grecs n’auraient pas l’avantage.
Tout Grec reçut du ciel l’art du mime en partage.
Riez-vous ? il éclate. Etes-vous affligé ?
Dans un chagrin profond vous le croiriez plongé.
Avez-vous froid ? il tremble. Avez-vous chaud ? il sue.