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Pour renchérir sur nous, fera de vains efforts.
A la rame, et mettons toutes voiles dehors.
— Bravo ; mais, pour fournir une telle carrière,
Où trouver un génie égal à la matière ?
Où trouver cette ardeur, cette intrépidité
Qui, même sous le fer, dirait la vérité ?
As-tu de nos aïeux la noble indépendance ?
— Qui donc m’imposerait une lâche prudence ?
Craindrais-je de nommer, d’offenser Lævinus ?
— Non ; mais à demi-mot nomme Tigellinus ;
Nomme-le, si tu veux qu’assouvissant sa haine,
Tandis que sur son char il parcourra l’arène,
Ton cadavre empalé lui serve de fanal.
— Quoi ! celui qui, mêlant un breuvage fatal,
De trois oncles d’un coup hâta l’heure dernière,
Sur un moelleux duvet assis dans sa litière,
A peine laissera, d’un air de protecteur,
Tomber sur l’honnête homme un regard contempteur !
Et mon vers... — Imprudent, s’il venait à paraître  !
Ne dis pas seulement le voici  ! car un traître
Est là, comme aux aguets, prêt à te dénoncer.
Sans crainte en l’art des vers prétends-tu t’exercer ?
Chante Achille, Turnus et le père d’Iule,
Et le ruisseau funeste au jeune ami d’Hercule.
De pareils lieux communs n’ont rien que d’innocent.
Mais que d’un saint dépit Lucile frémissant,
Comme d’un glaive armé, tonne contre le crime ;
Aux accents redoutés du poète sublime,
Le coupable rougit ; et, glacé de terreur,
La sueur du remords dégoutte de son cœur.
De là les cris de haine, et la rage, et les larmes.
Réfléchis donc avant de revêtir tes armes.
Quand l’airain une fois a sonné les combats,
Trop tard, le casque en tête, on revient sur ses pas.
— Eh bien ! si les vivants craignent tant la satire,
Voyons contre les morts ce qu’on permet d’écrire.