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— Aucune ! seulement du rocher de Caprée,
Une lettre diffuse, équivoque… — J’entends.
Et le peuple ? —Le peuple ! il fait comme en tout temps,
S’attache à la fortune, et maudit la victime.
Que, prévenant le coup dont son maître l’opprime,
Le Toscan dans le sein de l’indolent vieillard,
Aidé de sa Nursie, eût plongé le poignard,
De festons glorieux lui-même ornant son buste,
Ce vil peuple aujourd’hui le saluerait Auguste.
Depuis qu’avec dédain foulant aux pieds nos droits,
Les grands au champ de Mars n’achètent plus nos voix,
Qu’importe de l’état le calme ou les orages ?
Ces Romains si jaloux, si fiers de leurs suffrages,
Qui jadis commandaient aux rois, aux nations,
Décernaient les faisceaux, donnaient les légions,
Et seuls, dictant la paix, ou proclamant la guerre,
Régnaient du Capitole aux deux bouts de la terre,
Esclaves maintenant de plaisirs corrupteurs,
Que leur faut-il ? du pain et des gladiateurs.
— Il court encor des bruits de meurtres, de vengeance.
— Qui pourrait en douter ? la fournaise est immense.
Je viens de rencontrer, près de l’autel de Mars,
Brutidius tremblant, pèle, les yeux hagards.
Que je crains, m’a-t-il dit, qu’altéré de carnage,
Ajax mal défendu ne redouble de rage.
Tandis que de Séjan les lambeaux déchirés,
Sur la rive aux passants sont encore livrés,
Courons fouler aux pieds l’ennemi du monarque :
Courons, et que surtout la foule nous remarque,
De peur qu’un vil esclave à nous perdre excité,
De son maître tremblant par ses mains garrotté,
N’aille livrer la tête aux glaives de Tibère.
Voilà ce qu’en secret murmurait le vulgaire ;
Voilà comme il plaignait le rival du tyran !

Et bien ! que penses-tu du bonheur de Séjan ?