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SATIRE VI.


Oui, je le crois, du temps de Saturne et de Rhée,
On a vu la Pudeur sur la terre honorée,
Et même elle y put faire un assez long séjour,
Lorsque d’une caverne à peine ouverte au jour,
Inutile rempart contre l’âpre froidure,
L’asile étroit, formé des mains de la nature,
Sous un même couvert, dans les flancs d’un coteau,
Réunissait les dieux, les maîtres, le troupeau,
Et qu’au sommet des monts, une épouse sauvage,
Se composant un lit de peaux et de feuillage,
Auprès de son mari rassasié de glands,
Des flots de sa mamelle abreuvait ses enfants :
Différente de vous, amante de Catulle,
Et de vous, tendre objet des soupirs de Tibulle,
Dont les beaux yeux troublés par l’excès des douleurs,
Pour la mort d’un moineau se gonflèrent de pleurs.
Né de chênes brisés, ou sorti de la terre,
L’homme vivait alors sans vice héréditaire :
De cette chasteté, l’honneur du siècle d’or,
On put sous Jupiter voir quelque trace encor ;
Mais c’était Jupiter en sa tendre jeunesse,
Quand le parjure était inconnu dans la Grèce,
Quand chacun, pour ses fruits ne craignant nul larcin,
Dormait en sûreté sans clore son jardin.
Depuis, loin des mortels, dans les cieux retirés,
La Pudeur s’est enfuie avec sa sœur Astrée.