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Qui t’a donné le droit de toucher à ce pain ?
Est-ce au tien que l’on trouve une couleur pareille,
Et ne devrais-tu pas distinguer ta corbeille ?
Voilà donc, malheureux, pour quel noble repas,
M’arrachant à ma femme et courant à grands pas,
On m’a vu tant de fois, par les vents et les pluies,
Gravir, au point du jour, les froides Esquilles !

  

 Vois ce poisson superbe, avec solennité
Sur les bras d’un esclave en triomphe porté :
Vois comme, en sa longueur, dans un bassin immense,
D’asperges couronné sur la table il s’avance,
Insultant de sa queue au reste du festin ;
Tandis que sans honneur et sur un plat mesquin,
On ne te glisse à toi qu’un maigre coquillage,.
Misérable repas pour les morts en usage.
D’une huile de Vénafre épanchée à grand flot,
Le monarque à tes yeux inonde son turbot ;
Mais pour le chou fané qu’il a soin qu’on te serve,
Celle que, par son ordre, aux clients on réserve,
Une barque de joncs, en des vases impurs,
Des bords de Micipsa l’apporta dans nos murs ;
C’est une huile de lampe, exhalant à la ronde,
Une odeur si fétide et si nauséabonde.
Qu’à l’aspect d’un Numide on déserte les bains,
Et qu’elle ferait fuir les serpents africains.
Virron mange un rouget de Corse ou de Sicile.
D’en chercher sur nos bords il serait inutile ;
Nos bords sont épuisés, depuis que les pêcheurs
Nuit et jour déployant leurs filets destructeurs,
Et pressés d’assouvir notre gloutonnerie,
N’en laissent plus grossir dans les mers d’Étrurie.
C’est donc à la province à fournir nos marchés
De ces mets délicats par Lénas recherchés,
Lénas, adroit flatteur d’une veuve opulente,
Qui les reçoit de lui, pour les remettre en vente.