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raie, mais il avait les cheveux trop frisés et emmêlés, alors il a enfoncé sa casquette dessus et, faisant venir la visière en avant, il les a fait venir en avant sur son front où ils dépassaient la visière.

Il fumait des cigarettes. Il a ouvert la fenêtre. Il a demandé par la fenêtre à la femme chez qui il prenait pension s’il ne pourrait pas manger la soupe un peu plus tôt que d’ordinaire. Il avait mangé la soupe, il était sorti sitôt après. Il avait traversé la grande route. Il avait été se coucher sous un arbre non loin de la grande route où passaient toujours les automobiles, roulant avec leurs capots qui jetaient des feux et leurs brise-bise qui vous tiraient dessus comme quand la flamme sort du canon d’une carabine. Elles aboyaient, elles toussaient, elles hurlaient longuement comme quand un chien de garde s’ennuie. Elles roulaient sur la route grasse sans faire aucune poussière, toussaient, sifflaient, aboyaient, se croisant ou bien se doublant, disparues derrière une haie, reparues : dix, quinze vingt, — parce qu’il avait pris sa montre, s’amusant à les compter. Il cracha entre ses genoux. Puis il se lève et, ayant suivi la route, il a rejoint la Bourdonnette non loin du grand viaduc de pierre sur lequel passent les trains et il s’est mis à la descendre, ce qui l’a amené près de la gravière où ses camarades venaient de se mettre au travail. Il les regardait travailler d’en bas en leur faisant des signes, dans ses beaux habits du dimanche, tandis qu’eux là-haut, sur leurs marches d’escalier, derrière les cribles, étaient nus jusqu’à la ceinture ou avaient