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— Et votre oncle ?

Juliette éclate de rire.

Et maintenant l’accordéon était juste sous les fenêtres :

— Parce que je savais bien, disait Juliette, qu’il viendrait, alors il faut que je me dépêche ; vite Marguerite, s’il vous plaît, le peigne… Et puis le châle, comme dans mon pays…

Et alors, sur la terrasse, les voix se taisent l’une après l’autre ; tout s’était tu, le vent s’est tu, même les vagues qui se taisent ; il n’y a plus eu que le bel air de danse qui s’est mis à tourner tout seul. Il s’est suspendu un instant, alors on n’a plus respiré ; puis de nouveau, ces grands accords ont éclaté l’un par dessus l’autre…

Mais, à ce moment, une table tombe ; une voix :

— Arrêtez-le ! arrêtez-le !… Il devient fou…

Et tout à coup l’accordéon, lui aussi, s’était tu.

Il avait dit à ses camarades de chantier :

— Je ne travaille pas aujourd’hui… Avertissez le patron de ma part qu’il ne lui faut pas compter sur moi.

Ses camarades étaient partis comme chaque matin pour la gravière, lui avait été se laver à la fontaine, il s’était rasé ; puis avait été prendre dans le placard ses habits du dimanche, une chemise propre, un col, une cravate. C’était dans une maison près de la gare où ses camarades et lui logeaient ; là, il s’habille tranquillement. Il avait un complet tout neuf, un veston pincé à la taille ; il avait cherché aussi à se faire une