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Un samedi après-midi, vers les trois heures, sur la terrasse, avant que le monde qui ne vient que plus tard soit là ; et, au-dessus de la tête de Milliquet, à une branche plus grosse que la cuisse, pendait tout juste une des premières feuilles pas encore bien dépliée, faisant penser à une patte de canard.

À ce moment, l’homme à la moustache noire leva le poing :

— Ça ne fait rien. Ta nièce ou pas, c’est elle qu’on veut…

Son poing s’est abattu sur la table :

— Et pourquoi pas ? Pourquoi pas, après tout ? Une autre bouteille et ta nièce, sans quoi on file… Combien est-ce qu’on te doit ?…

Il a fait le geste d’aller prendre son porte-monnaie dans sa poche.

Elle a bien été forcée de venir. Elle était donc venue (ou revenue). Et voilà que sur la terrasse (Milliquet n’y était plus) :

— Mademoiselle, on a encore une place dans la voiture ; elle est pour vous…

Le Savoyard justement passait devant la terrasse, il y passait pour la seconde fois ; il s’arrête, il regarde par-dessus le mur, il a écouté, il s’en va.

— Il y a quatre places dans la voiture, on n’est que trois, on vous emmène.

C’était le grand.

— On aurait une belle chambre pour vous, une chambre au midi avec deux fenêtres… Deux fenêtres et une armoire à glace… En attendant, à votre santé.