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dans l’air, elle avait une joue éclairée, une épaule, elle avait un bras éclairé. Les enfants ont crié encore ; quand une vague venait, ils couraient en arrière, ensuite ils couraient en avant. Elle allait avec son petit corsage de satinette noire et sa petite jupe de même étoffe, pas assez longue, son panier ; de la montagne lui a glissé par-dessus l’épaule, lui glisse encore contre l’épaule droite ; puis un mouvement de côté qu’elle fait laisse venir dehors toute la chaîne. C’était cet élargissement de la grève et c’était que la rive ici forme une espèce de petit golfe ; là était la maison de Rouge avec le beau cube luisant, le beau bloc fraîchement repeint de la remise. Le pan de devant, vu en oblique sous son huile pas encore sèche, était comme un miroir dans le soleil, tandis que derrière, dans l’ombre, on voyait un gros homme qui s’arrête dans le mouvement qu’il fait de haut en bas avec la main, puis il semble hésiter, puis il remet son pinceau dans le seau (pendant qu’elle approche toujours), et, maladroitement, il s’essuyait les doigts à son pantalon :

— Mademoiselle, pas possible ! c’est vous… Je ne m’attendais pas à vous voir venir, Mademoiselle… Non, je n’aurais pas cru ; est-ce que Milliquet ?…

Mais elle ne lui a pas répondu. Elle avait une commission à lui faire, elle la lui fait, voilà tout ; et Rouge :

— Du poisson ? ma foi non… Ni perchettes, ni truites, ni ombres. Même pas du brochet. Tout est parti par le train ce matin… Comme si Milliquet ne le savait pas…