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qu’assez tard dans la soirée, tandis que le premier quartier de la lune venait de se montrer au-dessus des Dents d’Oche ou de la Dent d’Oche (car en somme il n’y en a qu’une pour nous).

Les nuages, vu l’absence de tout mouvement dans l’air avaient été longtemps sur le ciel comme une couche de glace sale ; tout à coup ils s’étaient crevassés en tout sens et le ciel paru dans les fentes faisait là-haut des espèces de rigoles, comme dans un pré irrigué. Lui, poussant la porte de la salle à boire, s’est étonné de voir qu’elle était vide. Il attend un moment : personne ne vient. Il attend, puis on a entendu le bruit d’une discussion venant de la cuisine, et à travers les murs, il reconnaît la voix de Milliquet, il reconnaît ensuite la voix de la servante. On ne venait toujours pas, il a dû appeler. Il a dû ouvrir la porte donnant sur le corridor, il a dû crier : « Eh ! y a-t-il quelqu’un ? ». Le bruit des voix alors s’était tu brusquement, puis c’est Milliquet qui paraît ; mais apercevant Rouge, il se prend la tête dans les deux mains.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Milliquet venait sous la lampe avec une figure plus grise encore et plus plissée qu’à l’ordinaire, la tête de travers, la bouche à moitié ouverte :

— Ce qui m’arrive ?

Puis :

— Tu sais, tout ça c’est de ta faute… Comme s’il n’y avait pas déjà assez de deux femmes ici, mais non, il a fallu que tu m’en amènes une troisième… Alors tu vois…