Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/35

Cette page a été validée par deux contributeurs.

chardonneret ne fait pas mieux. Et un instrument comme celui-là, ça s’entend à un bon kilomètre. La preuve c’est qu’elle l’a entendu depuis sa chambre, et même qu’elle était couchée et elle l’a entendu depuis son lit (il inventait). C’est la musique qui l’a fait se lever, la musique qui l’a fait venir. Milliquet à lui tout seul n’y aurait rien pu. S’il dit le contraire, il se vante. Sans la musique, je vous affirme, moi, qu’elle n’aurait pas bougé ; d’ailleurs c’est elle qui me l’a dit. Et puis, rappelez-vous, quand elle est arrivée… On a bien vu pourquoi elle venait et pour qui. Une fille comme elle et la musique, ça va ensemble. Personne ne l’avait aperçue encore, et elle avait été jusqu’à ce jour-là comme une morte ; mais voilà, c’est des filles ainsi, un petit air de danse les ressusciterait. C’est ces pays d’où elles viennent, des pays chauds, alors le sang leur saute hors des veines comme les ruisseaux, quand le printemps vient, hors de leur lit. Vous n’avez qu’à vous rappeler cette entrée… »

Mme Milliquet sortait de la cuisine dont elle était en train de refermer la porte ; elle ne l’a pas refermée plus avant.

Sa main était restée sans mouvement sur la poignée ; le bruit des voix dans la salle à boire vient par terre comme si on avait donné un coup de ciseaux dedans.

On n’a plus entendu aucun bruit derrière le mur du corridor où il y a eu comme une première largeur de silence, en avant de laquelle le bruit de la terrasse continuait à se faire entendre, mais il s’est tu à son tour.