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quand la trame d’une étoffe s’use. S’étant levée, elle va au mur pour le toucher. Puis, de nouveau, elle est sur sa chaise, de nouveau elle est balancée, la chaise montant lentement sous elle pour commencer ensuite à redescendre toujours plus, pendant qu’on a froid autour du cœur. Il lui a semblé que la nuit était venue. On a entendu les sirènes hurler dans la brume. On heurte, la porte s’ouvre. Elle voit, sans lever la tête qu’elle cache dans ses mains, elle voit entre ses doigts qu’on lui apporte son repas sur un plateau, puis elle a dû pleurer longtemps encore elle a dû dormir et dormir beaucoup, seulement on ne sait pas quand on commence à dormir et quand on cesse de dormir. Les nuits et les jours s’emmêlent, comme quand on met les doigts d’une main entre les doigts de l’autre main. On est ici, et, en même temps, c’est l’hôpital, un pot de tisane, le lit de fer, les draps blancs, la veilleuse, la feuille de température fixée au mur par des punaises ; — on entend la pluie tomber sur le toit, on entend les moineaux venir piquer du bec dans le chéneau à petits coups secs ou bien le fer-blanc grince sous leurs pattes ; — et à présent ? oh ! on l’a enterré. On la mène dans des bureaux. Elle va chez un photographe, on a collé la photographie sur une page de carnet ; on a appliqué le sceau humide moitié sur la photographie, moitié sur la page écrite. Elle pleure beaucoup de nouveau. Elle a froid. Elle s’étend sur son lit ; elle se roule dans ses couvertures. Le wagon où elle se trouve est tout près de la locomotive ; la locomotive siffle, siffle encore, les