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yeux, elle ; il voit qu’elle n’est plus là. On voit le banc sur lequel le bossu était assis, il n’y est plus. Et on voit la table où elle était (ou bien si c’est un rêve qu’on a fait, parce qu’elle n’est plus sur la table). Ni à côté, ni nulle part. Et Maurice regarde, puis il part en courant. |

— Maurice, où vas-tu, eh ! Maurice…

Il n’entend pas. Il est dans une petite pluie grise qui pend partout entre l’espace et vous. Il y a du brouillard, les arbres s’égouttent. On l’appelle encore, il court plus vite. Il va du côté de la route ; il arrive à la route, il ne la voit pas non plus sur la route. C’est qu’on ne peut rien distinguer à plus de quinze pas devant soi, mais c’est peut-être aussi qu’on s’est trompé de direction, quand maintenant la cloche du feu s’est tue, le vent s’est tu également, le tonnerre au lointain ne s’entend plus qu’à peine, oh ! c’est partout un étrange silence ! Et là dedans l’égouttement des arbres, tandis qu’on ne voit toujours rien nulle part : l’égouttement des arbres, pendant qu’il se retourne, puis c’est comme si on venait derrière lui ; — et, en effet, on vient, mais ce n’est pas celle qu’il cherche…

Il a secoué la tête.

On continue à l’appeler de dessous le pont de danse, où maintenant les garçons sifflent de toutes leurs forces entre leurs doigts, ne pouvant plus l’apercevoir, ne pouvant plus être aperçus de lui ; — et elle, il l’a bien vue, la petite Émilie, il n’a pas pu ne pas la voir, tellement elle s’est rapprochée, sa robe collée aux épaules, son grand chapeau de paille