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bateau et le bateau va avec son mouvement à lui contre le mouvement des vagues. Il sent de la main dans sa poche si sa boîte d’allumettes y est, si les deux boîtes d’allumettes, qu’il a prises par précaution, y sont bien toujours ; elles y sont. On a tout le temps. Ils ne vont pas, dans leur bateau, en avoir fini si vite qu’ils ont cru peut-être ; tant mieux. Il regarde comment ils se battent et se débattent contre les vagues. Ravinet voyait Rouge, il voyait Décosterd. Le bateau allait de côté, alors eux vous étaient montrés tout entiers, y compris leurs pieds mis à plat sur les lattes du fond. Ils montaient avec rapidité, tout penchés vers vous, puis ils arrivaient à la crête ; alors tout à coup ils n’avaient plus de jambes, ni de corps, ni de bras ; finalement ils n’avaient plus de tête. Il n’y avait plus rien, le bateau a coulé. Non. On le voit qui monte de nouveau, il monte avec la vague qui monte ; on voit les deux hommes qui se renversent sur les rames de toutes leurs forces cherchant à la prendre en travers. Ah ! il ricane. Ah ! ils auront de quoi faire, s’ils veulent rattraper l’autre bateau. Ils auront de quoi faire pour seulement revenir eux-mêmes, si jamais ils en ont envie. On a le temps, on a tout le temps !… Voilà que les huit musiciens sont alors descendus de la tribune derrière Gavillet qui avait dit : « Ce n’est pas de refus… » bien qu’il fût un peu blessé dans son amour-propre, mais il s’en cache et il disait : « Depuis deux heures qu’on n’a pas arrêté. » On lui a dit : « Il y a du vin qui vous attend. » Les musiciens descendent derrière les roses de papier les marches de l’escalier de la tribune (c’est plutôt