Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/267

Cette page a été validée par deux contributeurs.

C’était un peu en avant du pont de danse, mais en contrebas, et toute une rangée de buissons venait encore nous masquer. Derrière ces buissons étaient les deux mortiers. Ils se sont tenus là, les trois. On faisait face au chemin qui venait à vous en ligne droite, longeant la rivière entre les vernes, puis entre les deux berges largement ouvertes sous le ciel qu’on apercevait dans sa partie sud-ouest. Et, là, il devient d’une autre couleur ; et une couleur bleu foncé comme celle de la terre glaise a fait sur lui comme un talus qui s’élève toujours davantage, puis commence à aller en avant et à surplomber : en même temps le vent se lève, en même temps la lumière change…

Elle a fait changer la lumière, la lumière devient toute blanche. Il y avait ce grand ciel noir, mais autour d’elle tout s’éclaire (ou si c’est elle qui éclairait). Ils la regardaient qui venait, et elle était encore dans le bout du vallon à une assez grande distance ; elle était rouge devant la nuit. Derrière elle venait le bossu, le bossu était déjà dans l’ombre. Il était à la limite de l’obscurité où on voit les sapins pencher d’un grand mouvement de côté tous ensemble. Il tenait son instrument devant lui, penchant la tête, tirant sur le soufflet : puis il presse dessus des deux mains, le faisant se tordre. Il a trois bosses ; on en voit deux, celle qui est devant lui, celle qui est sur son côté. Il est juste sur la ligne que fait la nuit ; à mesure qu’il la quitte, la ligne vient plus en avant. Et plus devant encore, c’est elle ; et là c’est deux fois la lumière