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Rouge avait dû lui aussi se contenter de la réponse, c’est pourquoi il n’avait plus parlé de rien, pendant que là-haut le changement continuait à se faire, et au-dessus de Rouge qui s’en retournait chez lui. On disait dans le village : « Elle ne fait pas beaucoup de bruit, la demoiselle ; » en même temps, une échelle de soleil a été déroulée par un trou jusqu’à l’eau, comme quand d’un navire on jette une corde à des naufragés. Rouge, pour rentrer chez lui, devait suivre la grève que bordent des prés, puis un bois de pins : là, une voix nouvelle, du fond du bois, est venue à lui. C’est quand le coucou chante, alors les filles disent entre elles : « As-tu de l’argent dans ton porte-monnaie ? » et, quand on en a, c’est bon signe, parce que ça veut dire qu’on en aura toute l’année. Là-haut, le vent se battait avec la bise ; ici, le coucou chante. Puis voilà que les nuages ont basculé tous ensemble et se mettent à dégringoler, roulant les uns par dessus les autres, à la pente du ciel, vers le sud. Le samedi, le ciel était complètement nettoyé : c’est-à-dire en même temps que partout dans le village on faisait propre pour le dimanche. C’est plus qu’un changement de temps, c’est même plus qu’un changement de saison : tout se fait beau là-haut, comme jamais encore, au-dessus des dents d’Oche, de ces pointes, de ces cornes. Sur les Cornettes, sur le Billiat, sur les Voirons, sur le Môle, sur Salonné ; dans les gorges, sur les plateaux, tout autour des parois de rochers, sur les pâturages. On a pris d’abord là-haut le balai de bouleau, le gros dur balai de biolle qu’on emploie dans les écuries ;