Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.

préparé son couvert : à midi on avait été l’appeler, elle n’est pas venue.

— Est-ce que tu vas continuer de faire porter à manger à ta demoiselle dans sa chambre ? disait Mme Milliquet. C’est ça ! une pensionnaire. Oh ! si tu en as les moyens…

Et la servante, une grosse fille dépeignée aux bras sales, bousculait la vaisselle qu’elle rangeait sur le plateau : « Deux étages trois fois par jour ! il aurait fallu me prévenir… »

« D’ailleurs, confiait-elle à Mme Milliquet, pour ce qu’elle mange ! Ce n’est pas seulement du temps perdu, c’est encore de la nourriture tourmentée. »

Cependant un grand changement commençait à se faire dans l’air et de l’autre côté de l’eau sur la montagne. Rouge, qui venait tous les jours (c’était une vieille habitude chez lui et il venait tous les jours entre deux et quatre), s’est arrêté sur le pas de la porte, et, levant la tête : « Cette fois, je crois qu’on tient le grand beau. » C’était le jeudi. En sortant, il avait levé la tête, il constatait là-haut le phénomène qui était plus qu’un changement de temps, parce que c’est toute la saison qui change. Rouge n’avait rien ajouté à sa remarque ; ce n’était pas pourtant qu’il ne fût intrigué, et il n’était pas le seul à l’être, personne n’ayant aperçu encore la demoiselle parmi les gens du voisinage, les habitués du café, ni ceux non plus que la curiosité y avait amenés ces premiers jours, mais quand on disait à Milliquet : « Alors, cette nièce ? » il répondait :

— Elle se repose.