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syndic commençait à être inquiet ; il nous disait : « Il est grand temps que ce commerce finisse. » Il avait été voir le juge. Le jugement devait être rendu trois jours après la fête. Rouge et Milliquet devaient être entendus contradictoirement (si toutefois ils étaient présents tous les deux, ce qui ne semblait pas probable) — à la suite de quoi, on leur ferait connaître la décision prise. Il semble assez qu’elle ne leur aurait donné raison ni à l’un, ni à l’autre. On ne pensait pas que la fille serait rendue à Milliquet puisqu’aussi bien il l’avait laissée mettre à la porte de chez lui ; on ne pensait pas non plus qu’on permettrait à Rouge de la garder. En conséquence, il ne resterait plus qu’à la placer dans un asile en attendant sa majorité. Seulement, Rouge nous avait avertis : « Si les gendarmes viennent, je fais tout sauter. » C’est ce qui explique l’inquiétude du syndic et que la curiosité du monde ait recommencé à s’échauffer, s’échauffant d’autant plus qu’on se rapprochait davantage du moment où le jugement devait être rendu. Le malheur avait été d’avoir laissé traîner l’affaire à ce point-là, mais c’est que les autorités auraient autant aimé sans doute n’avoir pas à s’en occuper et l’auraient fait si elles avaient pu, ce qui leur aurait épargné des ennuis, des lettres à écrire, des démarches, Dieu sait encore quelles complications par la suite ; — d’ailleurs Rouge n’avait jamais fait de mal à personne, et à elle non plus, au contraire, car que serait-elle devenue sans lui ? et il ne semblait pas que les bruits qui avaient, bien entendu, couru sur