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avait bu, mangé, trinqué. Ensuite les garçons étaient remontés sur les échelles ; et deux ou trois filles ont haussé vers eux à pleines mains le gros serpent vert sentant bon, frais à tenir, mais lourd encore d’humidité et que son poids faisait descendre jusqu’au plancher de place en place. Les garçons là-haut tiraient sur la corde ; les filles levaient les bras, suivant le mouvement. L’une après l’autre elles s’approchaient et tendaient vers eux la guirlande : alors on voyait, sous l’étoffe mince du corsage en toile blanche ou en mousseline, une poitrine se hausser, une grosse, puis une plus plate et, après des bras ronds, des minces. Ça sentait les branches de sapin, ça sentait amer et mouillé. On a bu encore, on a trinqué. On voyait, dans le gros boyau vert pendant entre les piliers de bois, les petits ronds roses, jaunes, blancs, rouges, des roses en papier, et dessous on levait les verres. On trinquait : « À ta santé ! » « À la tienne ! » Ça faisait un petit bruit, ça faisait comme quand la chèvre en tirant sur une touffe d’herbe fait tinter sa sonnette, puis les rires venaient par-dessus. Et de nouveau on enfonce un clou. Il y en a un qui n’a pas tenu, il faut le remplacer. Une dizaine de garçons, autant de filles. Et jusqu’à onze heures passées. On a entendu sonner onze heures, tellement l’horloge du village les a sonnées lentement ; c’est sa coutume, parce qu’elle est très vieille. Elle sonne les heures avec tant de lenteur qu’elle finit toujours par se faire entendre, et, si continu que soit le bruit, par y trouver une fissure et par venir