Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/232

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il dit :

— De l’argent et un bateau, ça suffit.

Elle répond oui, puis non, puis oui, puis non ; c’est tout. On lui a dit de venir, elle n’est pas venue ; et on n’est pas allé vers elle, parce que ça vaut mieux peut-être ; mais on a de l’argent, Juliette, on a le bateau… Il porte votre nom…

— Écoutez, disait-il, dimanche prochain il y aura fête à la Fleur-de-Lys. Et on nous laissera tranquilles jusque là… Le jugement ne sera rendu au plus tôt que trois jours après. Et, dimanche prochain, tout le monde sera à la fête. On n’aura qu’à attendre qu’il fasse nuit ; personne ne nous verra partir, Décosterd lui-même sera là-bas… et le bossu aussi, sûrement.

Il tournait en rond, il tournait autour de la table ; il s’arrêtait, puis repartait :

— Alors vous faites votre paquet et on prendra votre bateau, Juliette. On s’en va, personne ne s’aperçoit de rien, personne ne sait plus où on est… on passe l’eau… J’ai des amis là-bas. On passe l’eau et, là-bas, c’est un autre pays et ils ne nous pourront plus rien, là-bas… on y restera jusqu’à ce que… jusqu’à ce que vous ayez l’âge, oui, dit-il, justement ça ne fera que quelques mois. Alors vous déciderez. Parce que je vous adopte. Si vous voulez… Tu serais ma fille, on n’avait justement point d’enfant, on n’avait ni femme, ni enfant… Et, là-bas, chez les Savoyards, on pourrait toujours reprendre le métier en attendant ; j’écrirais un mot à Décosterd pour qu’il