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Ils ont pu tout voir de la barque, où ils sont assis sur le sable chaud. Et lorsqu’elle est parue, ils l’ont vue, elle aussi ; ils l’ont vue des premiers quand elle s’est montrée dans les roseaux. Tout l’attendait et enfin la voilà ; elle vient, elle vient une dernière fois ; et d’abord elle pousse son bateau vers le large, puis elle le fait tourner, venant entre la barque et nous. Tout l’attendait, elle s’approche : Rouge n’avait pas levé la tête, ayant seulement laissé son regard glisser jusqu’à elle de dessous ses gros sourcils, et c’est tout au plus si, en même temps, il a fait un mouvement avec ses mains où on voit, passée au petit doigt, une bague d’aluminium. Mais elle n’en approchait pas moins, allant en avant d’un grand geste bien cadencé de tout le corps sur l’eau rayée ; ensuite elle lâche les rames…

Rouge seul n’avait pas regardé, car à présent tout la regarde. Là-bas, le grand Alexis était remonté sur sa bête : les sabots tapent dans le sable, tapent dans la vase, tapent dans l’eau ; à grands coups de ses deux talons, il pousse sa bête en avant pour mieux voir (ou si c’est pour être mieux vu ?) On regarde du haut de la falaise, on regarde de la barque, on regarde de la rive, on regarde de dessus le banc. Et, elle, elle s’est mise lentement debout, elle s’est tournée vers nous, elle nous a fait signe. Bolomey lui a répondu. Rouge ne lui a pas répondu. Rouge n’a pas bougé et il a toujours la tête en avant. Elle s’est tournée vers nous, puis elle a de nouveau fait face à la montagne, pendant qu’on voit qu’elle lève les bras ; on voit ses bras aller de bas en haut contre la belle pente bleue, jusqu’à