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plusieurs choses : là où elle se tient, il n’y en a plus qu’une. Avant, les choses venaient séparément à vous, elles étaient sans communication entre elles, on n’en pouvait jamais tenir qu’une à la fois, — maintenant, elles sont toutes là et c’est comme si elles étaient toutes en une. Mais comment se faire comprendre, et est-ce bien ce qu’il faudrait dire ? est-ce bien ce qui est pensé dans ces têtes, en arrière de la visière des casquettes, sous l’os du crâne, hélas ! soudé et pour toujours, sous les cheveux tondus ras de Décosterd et ceux de Rouge qui sont presque blancs et deviennent rares ? On a vu qu’ils n’avaient plus fait le moindre mouvement, ni l’un ni l’autre, Décosterd avait toujours son verre à la main. On voit Rouge les bras pendants, et en arrière de lui, vaguement, sur le sable gris sont les taches noires des bouteilles…

Le beau soufflet de cuir alors cesse brusquement de rapprocher ses plis entre les petits poings maigres qui se serrent et le retiennent ; elle, sa jupe lui a tourné encore deux ou trois fois autour des jambes, puis elle rejette le poids de ses cheveux avec toute sa tête en arrière.

Rien ne bouge plus : on a entendu venir le silence comme si c’était la fin du monde qui venait. La fin du mouvement a été comme si elle était la fin de la vie. Il n’y a plus rien eu, il y a eu un grand vide, on y est tombé ; on y tombe encore, on y tombe longtemps ; il faut maintenant revenir à l’autre vie, à l’ancienne.

Rouge pensait qu’il allait applaudir, il n’a pas applaudi.