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Le savon a moussé difficilement et pas tout de suite, parce que l’eau du lac est une eau très douce : elle manque de mordant.

Il faut du temps pour faire de la mousse, il faut du temps avant qu’on ait des gants blancs.

Décosterd a pu laisser ainsi, aller et retour, passer quelques vagues ; puis en voilà une qu’il prend de nouveau dans ses mains, pour se les rincer.

Il a été chercher le sac ; Rouge lui a donné pour payer le vin tout un billet.

Puis Rouge alors attend, il va et vient devant la porte. Il est allé et venu un moment. Subitement il a dû penser à quelque chose. Il rentre dans la maison, comme s’il était pressé ; mais c’est qu’il était pressé. Il a fallu, en effet, qu’il aille chercher dans le fond de l’armoire ce complet, il y avait bien longtemps qu’il ne l’avait pas mis ; un complet de cheviotte bleue. Heureusement qu’il n’a pas eu besoin d’allumer la lampe à pétrole, et qu’il y a vu encore assez pour faire son nœud de cravate, pendant qu’il s’impatiente avec ses gros doigts sous les revers de toile raide et parmi ce lacet de soie dont on emmêle les épaisseurs sans s’y retrouver, devant le tout petit miroir à cadre d’aluminium qu’on pend à un des montants de la fenêtre, dans le désordre de vos affaires, dans la poussière, dans la saleté, parce que sa chambre à lui était restée comme elle était et on n’y avait pas touché quand on avait fait les réparations.

Mais l’essentiel pour le moment était qu’il fût prêt à temps.