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ça venait ; mais ça venait toujours. Il va, ça le suivait. Ça l’a suivi jusque dans la ruelle ; là seulement, ça se défait, ça se démaille, ça s’use fil à fil dans l’air, ça se trouve enfin derrière lui. Il marche rapidement dans le soleil pendant ce temps ; et c’est beau, ces brins de paille qui brillent comme des chaînes de montre en or dans la poussière. C’est beau, ces ombres que fait le bord des toits et il n’y en a qu’au bord du chemin ; c’est soigneusement tracé à la règle. Néanmoins, au tournant, il a écorné celle que projette la terrasse de Milliquet avec ses platanes qui ont enfin leurs feuilles, mais c’est la moins bien dessinée de toutes et puis elle prend trop de place. Et aussi on veut montrer à Milliquet qu’on ne se dérange pas pour lui. On lui fera voir qu’on n’a pas peur, Rouge rase l’angle de la terrasse. Il passe tout contre la barrière de fer, pendant qu’on voit, entre les barreaux, les tables vertes, puis on voit Milliquet ; et on voit que c’est un café dont le patron est en même temps aujourd’hui l’unique client ; il pourra toujours, si ça l’amuse, se servir lui-même :

— Salut, crie Rouge, tu es en vacances ?

Alors on entend l’autre qui l’appelle, mais Rouge passe et se contente de lever le bras de côté pour dire : « À une autre fois, » pour dire : « Aujourd’hui, j’ai mieux à faire, » parce que c’est vrai.

Aujourd’hui, on a mieux à faire.

— Rouge, tu entends, j’aurais une communication…

— Oui, mon vieux…