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fracture de la jambe. Le bossu n’était que son ouvrier. Il n’était arrivé, d’autre part, que quelques jours avant l’accident de Rossi, si bien que Rouge ne savait rien de lui et personne ne savait rien de lui. Il était paru un beau jour chez Milliquet avec son accordéon ; on avait dit : « Il joue joliment bien ; » il était revenu, on avait dit : « Il n’y en a pas beaucoup comme lui ; » là-dessus, il y avait eu la scène avec le Savoyard, et on ne l’avait pas revu. D’où venait-il ? on ne savait pas. Et aujourd’hui Rouge frappe à la porte, mais tout ce qu’il savait, c’est que l’autre était là, l’ayant vu en passant à travers les carreaux. On a entendu encore le bruit du marteau sur le cuir, puis le bruit s’est tu pendant qu’on crie : « Entrez ! » mais a déjà recommencé. Rouge entre.

L’autre était assis sur un tabouret bas, il n’aurait pas pu être assis sur un siège à dossier, tandis que sa tête allait en avant et il ne pouvait pas la tenir droite, ni la ramener en arrière. On voit qu’il la tourne vers vous, avec ses beaux yeux qui ont brillé, puis s’éteignent ; il lève encore une fois son marteau à bout arrondi au-dessus des clous de laiton. Et Rouge s’avance un peu, Rouge se met à l’aise ; il a enfoncé les mains dans ses poches, il dit :

— Ça n’est pas pour des souliers que je viens ; nous autres, dans le métier, on n’en use pas beaucoup. On s’use plutôt la peau des pieds, son cuir à soi…

Il commence par des plaisanteries dites à l’établi et aux outils de toute sorte qui le couvrent : morceaux de cuir, che-