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présent en arrière d’elle et à sa droite. C’est toute la différence, rien ne change ; votre ombre tourne autour de vous jusqu’à ce qu’on soit morte et puis c’est tout.

Elle est entrée dans le village. On lui dit bonjour, elle répond ; c’est tout. On ne sait rien de rien, ni de personne, ni de soi-même. Et puis tout à coup elle s’arrête. Tout à coup, cette chose qu’elle voit quand même, c’est Rouge qui passe devant elle, puis qui a pris par la ruelle : alors il y a eu dans son cœur un reste de curiosité qui a fait qu’elle le suit.

Elle l’a vu s’engager derrière les remises, là où est l’atelier du petit cordonnier italien…

C’était pendant qu’ils travaillaient dans les vignes, de sorte que Rouge n’avait rencontré personne ou presque. Rien que quelques enfants sur la grève, et devant chez Perrin au bord de l’eau deux ou trois femmes, mais elles lui tournaient le dos, étant en train de faire la lessive. Il n’avait pas aperçu Émilie. Il a pris derrière les remises jusqu’à ce qu’il soit arrivé devant cette porte à encadrement de ciment au-dessus de laquelle il y a un écriteau où on lit : Cordonnier, en lettres noires sur fond blanc. Ce cordonnier était un vieil Italien et Rouge le connaissait, parce qu’on le rencontrait souvent, se promenant dans le village, avec sa moustache blanche et sa longue cape à la romaine, dont un des pans, jeté par-dessus son épaule, faisait des plis autour du cou. Il s’appelait Rossi, et Rouge le connaissait bien ; seulement il y avait plus de deux mois qu’on l’avait emmené à l’hôpital, avec une double