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le mur, elle a écarté le linge blanc qui le recouvre, en tire les deux bouteilles qu’elle met à l’ombre, prépare les couteaux, le verre, puis elle attend qu’ils soient revenus, parce qu’ils mangent sans assiette, sur le pouce. Et c’est mon père. Et ils reviennent. Ils ont été se laver les mains, ils reviennent ; c’est mon père et c’est mes frères, mais ils ne disent rien, parce qu’ils n’ont rien à dire ; ils ne lui ont rien dit, à elle, et puis c’est aussi qu’ils ont faim. Ils se sont assis l’un à côté de l’autre sur le mur et à une certaine distance l’un de l’autre. Ils sont les trois là, sur le mur. On voit le lac entre leurs têtes. Il y a une grande place entre leurs têtes pour toutes les choses qui viennent, et c’est l’air ennuyeux avec une mouche dedans et un papillon jaune ou blanc, ou bien c’est encore une voile. Qu’est-ce qu’on cherche ? car ils sont là, mais ils mangent, parce qu’ils ont faim. Ils coupent avec leur couteau dans leur pain, ensuite dans leur fromage. Ils portent de la lame le morceau à la bouche et leur main redescend, pendant que leurs mâchoires bougent. Ils font aller de haut en bas leur mâchoire ; eux, ils ne bougent pas, ils ne disent rien. Ils ont la tête qui leur pend en avant, les bras qui leur pendent et les jambes. Ils sont comme s’ils n’étaient pas. Oh ! qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce qu’il y a ? et qu’est-ce qu’il arrive donc qu’on ne trouve rien nulle part à quoi se prendre ? quand on voit de l’eau entre leurs épaules, et puis c’est tout ; on voit de l’eau autour de leurs têtes, et puis c’est tout. Ô séparation ! ils