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devant de la maison ; il écoute, debout sur le pas de porte. Il écoute, on n’entend rien. Il est entré dans la cuisine, il fait crier exprès le banc, parce que peut-être qu’elle dort. Rien. Il appelle : « Juliette ! » il élève la voix : « Juliette ! »

Il voit cette porte neuve avec sa peinture toute fraîche et se tient devant un instant, comme si elle allait s’ouvrir ; elle ne s’ouvre pas, il heurte…

Ah ! comment est-ce que le cœur est ainsi renseigné d’avance ? il savait bien qu’on ne répondrait pas.

Il sort, il crie à Décosterd :

— Tu n’as pas vu si elle a pris les rames ?

Et Décosterd répond quelque chose, mais lui est déjà dans la remise parce qu’il est facile d’y aller voir : d’ailleurs il savait d’avance que les rames seraient là.

Elles y sont ; il le savait bien. Il faisait sombre sur les pierres plates. Les pierres ont pris une couleur mouillée, toute la grève autour de lui est comme quand il a plu ; les roseaux plus loin sont devenus gris, ayant perdu leur belle couleur blanche et verte. Ils sont blancs en bas, verts en haut, mais pas pour lui, quand il entre dedans, ayant voulu quand même aller voir aux bateaux, parce qu’on ne savait jamais avec elle : c’est capable de partir sans rames, comme il se dit encore sur le sentier entre les deux murs de roseaux ; mais en même temps il n’y croit pas, et, en effet, les deux bateaux sont là. La Juliette est là, bien repeinte, le dehors vert, le dedans jaune ; elle attend sagement qu’on vienne, au bout de sa chaîne, et on