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gestes ; elle a encore le temps de prendre à droite dans le lit même de la rivière, craignant sans doute d’être arrêtée sur l’autre bord ; elle remonte le courant, elle est dans l’eau jusqu’aux genoux, mais les cailloux glissants du fond sont venus à son secours, car lui a des souliers ferrés et elle des espadrilles, c’est pourquoi elle persévère ; de nouveau, elle peut tourner la tête, elle le voit qui glisse à chaque pas tout aveuglé par les éclaboussures de l’eau, tombant parfois sur les genoux et sur les mains, elle pousse son rire clair, qui l’éperonne, lui, qui l’excite quand même ; de plus en plus, la Bourdonnette s’élargit, de plus en plus quittée par l’escarpement du ravin qui laisse place au vallon qui commence ; sur la gauche, on voit les gravières ; le courant devient plus lent, l’eau moins profonde…

Elle est belle dans le soleil. Il voit encore cette beauté.

Mais il a vu en même temps que cette beauté va lui échapper, parce que la petite maison de Bolomey est parue avec son toit bas qui touche par derrière la pente d’herbe où elle est à moitié enterrée : et, de la petite maison de Bolomey, Bolomey sort.

Il se tient un moment sur le pas de sa porte sans comprendre, puis rentre chez lui.

Elle avait quitté le lit de la rivière ; le Savoyard lui aussi l’avait quitté, tâchant de prendre en travers de la pente pour lui couper le chemin.

Bolomey reparaît, une carabine à la main.