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tôt toute la hauteur de l’air sous les yeux par un renversement du monde ; il y a une grande odeur forte ; ça sent âcre, ça sent mouillé, ça sent le pourri et la feuille morte ; puis elle sent aussi cette odeur plus menaçante et de plus en plus proche, parce qu’il y a tout à coup arrêt, ils viennent de heurter un tronc qui les retient ; il est sur les genoux, elle, elle est couchée sur le dos, elle voit des yeux qui s’avancent, s’avancent encore, grandissent, prennent toute la place devant elle en venant à elle ; il ne l’a toujours pas lâchée, il a toujours les bras passés autour de son corps ; mais c’est qu’on ne la connaît pas encore ou pas encore tout entière ; d’un brusque mouvement, elle fait que les yeux la quittent, elle leur ravit son visage qu’elle détourne et tord offrant sa nuque qui se soulève et son corsage s’ouvre alors de haut en bas ; on entend le soupir qu’il pousse, puis le soupir n’est pas fini qu’une espèce de cri étouffé prend sa place, il ramène à lui sa main gauche, elle est debout et il est debout, mais moins vite qu’elle ; il secoue par deux fois son poignet à cause du sang qui y coule ; il a couru, elle court devant, il la rattrape par la manche, la manche cède ; voilà comment on est traitée, ah ! qu’est-ce qu’on nous veut parmi les hommes ? où faut-il fuir ? que faut-il faire ? mais ses belles épaules brillent alors dans le soleil qui tombe de nouveau sur elles, et c’est de nouveau la rivière ; il a perdu du temps ; on voit sur sa main gauche les minces petits traits entrecroisés qu’y fait le sang, et cette fois la colère chez lui est la plus forte, c’est pourquoi il mesure mal ses