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dans les buissons. Il est sorti du milieu du bruit, comme une fois déjà, chez Milliquet, sur la terrasse ; il a été tout à coup devant elle, elle reconnaît le Savoyard. Elle n’a pas poussé le moindre cri ; lui non plus ne disait rien, ayant sous sa moustache un rire silencieux qui faisait voir ses dents. Il venait sur elle les bras tendus, elle fait un saut en arrière. Elle a vu promptement que, si elle prenait par le chemin pour revenir sur ses pas, il y avait grand’chance qu’il lui fût coupé et son mouvement naturel la porte à s’écarter de lui le plus possible, parce qu’il venait de haut en bas ; puis c’est aussi peut-être la confiance qu’on a dans la jeunesse de son sang, la solidité de son souffle ; alors elle se jette en plein taillis, en pleine pente, empêchée, mais défendue par la résistance de l’épais branchage qu’il faut faire céder d’abord, mais qui ensuite va en arrière avec force, et lui le reçoit en pleine figure. Il a été arrêté une seconde ; ce peu de temps lui a suffi, à elle, pour se laisser tomber dans le bas du talus ; là, elle se débarrasse de son manteau, on l’entend qui éclate de rire. Une haie de vernes poussant drû sur le bord de l’eau s’était présentée, en même temps qu’il y avait là un dernier escarpement ; elle s’y jette, les pieds lui manquent, mais elle a eu le temps de lever les mains dans les branches et les avait prises à pleine poignée, de sorte qu’elle s’y retient et y reste un instant suspendue, puis son poids l’a portée vers en bas, tandis que le Savoyard est arrêté de nouveau. Elle l’entend jurer, elle va en avant, elle tombe dans l’eau, elle s’y avance, troussant sa jupe ; elle entend, parmi le bruit qu’elle fait dans