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elle a été prendre dans un coin son vieux manteau couleur de poussière, le même qu’elle portait le jour de son arrivée à la gare ; elle était ainsi toute cachée de nouveau, elle n’a plus été. Elle se glisse le long du mur de la maison ; elle n’est plus sur les cailloux gris qu’une tache grise, elle n’est plus dans le sable qu’une tache couleur de sable. Entre elle et Décosterd, il y avait maintenant la maison, elle n’a pas été vue ; elle arrive ensuite aux roseaux et au chemin dans les roseaux. Parvenue au bord de la Bourdonnette, elle a pris à gauche. Là était le sentier du garde-pêche ; en le remontant jusqu’à la grande route, on pouvait tourner le village, et elle devait le savoir, mais ne pas bien connaître le chemin. Elle allait dans le bas de la berge qui devenait toujours plus haute ; c’est pourquoi elle avait beau lever la tête : toute vue lui était cachée du côté du village, à sa gauche, par cette berge et par les arbres, et encore bien plus à sa droite où la haute falaise se dressait tout d’un coup avec son manteau de sapins. Toute vue lui était cachée et elle hâte alors le pas plus encore, comme inquiète et pressée de mieux pouvoir s’y reconnaître ; puis peut-être qu’elle se rendait compte que le chemin allait être plus long qu’elle n’avait cru. Elle venait ainsi d’entrer dans la partie la plus étroite du défilé où on se trouve en plein taillis et au-dessous de vous la Bourdonnette fait un grand bruit de voix, comme quand, chez Milliquet, la salle à boire était pleine, avec des discussions partout et des coups de poing donnés sur les tables. Elle n’a pas entendu tout de suite qu’on marchait un peu au-dessus d’elle