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Les deux hommes avaient l’un et l’autre la tête penchée sous leur casquette quand il y a eu un petit bruit comme si des cailloux avaient roulé. Rouge lève la tête. C’était Marguerite, la petite Marguerite de chez Milliquet. Elle se tenait dans le haut du talus bordant la grève ; elle était là en pleins buissons et on ne pouvait y arriver, du village, qu’en prenant à travers les prés. C’était pourtant bien elle, avec sa robe noire à col montant et à petits bouquets de fleurs blanches ; les joues rouges, pour la première fois, d’avoir couru, les cheveux plus crépus et plus ébouriffés encore que d’ordinaire ; et elle était en train de relever sa robe cherchant une place où passer quand elle a aperçu Rouge ; alors elle lui a fait signe du doigt sans plus bouger d’où elle était : « Venez, venez vite ; » puis, regardant encore autour d’elle avec de brusques mouvements d’oiseau :

— C’est à cause de Mademoiselle Juliette…

Elle jette encore vite ses yeux de tout côté pour s’assurer qu’on ne peut pas la voir, mais des arbres, les buissons, la situation même du talus la dérobent à tout regard ; alors voilà qu’elle reprend, parlant bas :

— Il y a eu une terrible scène entre M. Milliquet et sa femme… Moi, n’est-ce pas ? j’avais une course à faire au village, alors je suis vite venue pour que vous sachiez… Parce que, dit-elle, il va venir… Oui, M. Milliquet, dit-elle. Il a dit qu’il allait venir la chercher lui-même, et il a dit que c’était son droit… Il va venir chercher Mlle Juliette, et il a