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encore l’heure des baignades ; le village ne faisait entendre que des bruits confus, sous les vignes silencieuses. Elle, elle faisait la manœuvre, eux ramaient : et ils entrent juste dans le milieu de l’espace qu’il y a entre les deux murs de roseaux, comme il fallait, vu les bas-fonds. Ils abordent.

C’est un de ces matins de pêche ; Rouge, de nouveau, la regarde. Décosterd venait de partir avec la brouette ; lui était venu tendre le filet. Il la regarde dans son contentement. Il avait bourré sa pipe, il tirait en creusant les joues sur sa courte pipe de bois. La fumée lui est sortie par toute sorte de petits trous dans la broussaille de sa moustache, il était venu se mettre à côté d’elle.

— Eh bien ? a-t-il dit tout à coup.

Tout était en ordre ; on voyait le filet bien tendu pendre avec son mur transparent qui est comme un petit brouillard qui monterait tout droit du sol ; on voyait qu’il faisait beau temps :

— Eh bien, ça ne va pas trop mal dans le métier, dans votre nouveau métier, ou quoi ?

Il tire encore sur sa pipe, il fait encore monter une bouffée blanche dans sa moustache :

— C’est que c’est un beau métier.

Il montre le filet, l’eau, le ciel, la maison :

— Un beau métier pour tout le monde, un beau métier pour vous comme pour moi, un métier d’homme et un métier de femme, un métier fait de deux moitiés… Comme ça se trouve pourtant !