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— Oh ! disait-il, n’ayez pas peur, ça ne va plus durer longtemps.

— Comment feras-tu ?

Mais il était déjà sorti, et on était obligé de remettre la question à un autre jour.

Ce certain lundi, l’histoire du radeau nous en a fourni l’occasion. Elle avait fait du bruit dans le village. Les mères des deux gamins avaient commencé par les fourrer au lit sans avoir soupé, l’un et l’autre ; puis elles avaient été tout raconter à leurs voisines. Ils sont venus, cette fois-ci, en bande :

— Eh bien, on ne s’embête pas chez Rouge, disaient-ils… Il paraît à présent qu’on s’y baigne en famille.

Milliquet leur versait justement à boire ; il a bien été obligé de finir de remplir les verres : mais ensuite il repose violemment la chopine sur la table :

— Laissez-moi tranquille à la fin ! Comme si je ne savais pas ce que j’ai à faire…

Et il allait de nouveau en arrière, seulement on l’a arrêté :

— Que vas-tu faire ? voyons, Milliquet, explique-nous ça ?

— Moi ! Vous croyez que ça m’embarrasse, seulement j’ai le temps pour moi.

— Enfin quoi ? Tu n’es pas pressé.

On se mit à rire, on lui disait :

— Et après ? Une fois que tu seras décidé ?…

— Moi, c’est bien simple. Je porte plainte.

— Puisque c’est toi qui l’as chassée.