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Décosterd saute sur la rive ; alors il attend, Rouge attend. Et la Juliette semble attendre aussi, pendant qu’elle se balance tout doux sur le ventre, ses larges hanches montant et descendant à coups irréguliers sous les rames laissées à plat ; pendant aussi qu’on voit toujours briller beaucoup de petits poissons, on les voit sauter hors de l’eau comme dans une poêle à frire.

C’est alors qu’elle était reparue ; il y avait eu une grande joie sur les montagnes. Elle s’est avancée, elle s’avançait sous le châle de soie ; dans le mouvement en avant de la marche, on voyait les longues franges monter en glissant le long de ses jambes, puis aller de chaque côté de leur rondeur en s’écartant. Elle a posé ses beaux pieds nus sur les cailloux. Et tout à coup le châle jaune l’a quittée, — en même temps Décosterd pousse à l’eau la Juliette, en même temps les montagnes brillaient, les poissons sautaient hors de l’eau, — mais elle brillait à présent, elle aussi, elle brillait de ses bras nus, elle brillait de ses larges épaules. On a entendu crier les enfants sur le radeau : c’est qu’elle leur venait droit dessus, par jeu. Elle s’était mise aux rames, elle avait dirigé sur eux la pointe de la Juliette : alors ils ont essayé d’abord de lui échapper en ramant aussi, puis, voyant qu’ils n’y réussissaient pas, ils se jettent à l’eau l’un et l’autre…

Lui, là-haut, regarde toujours. Il a vu que les montagnes en ce moment avaient été atteintes sur leur côté par le soleil qui descendait, en même temps que sa lumière était moins blanche ;