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de face, et il a pu voir que c’était bien elle et qu’un grand châle jaune à fleurs lui tombait autour du corps jusque plus bas que les genoux.

Il voit tout maintenant comme dans des verres de lunette ; il voit qu’elle est là, qu’elle se redresse, puis qu’elle se retourne en riant par-dessus son épaule et la belle étoffe de soie jaune ; qu’elle revient sur ses pas lentement ; — ensuite, le biais du mur l’a ôtée peu à peu de devant nos yeux, le biais du mur nous l’a reprise.

De dessous son buisson, Maurice assiste à toutes ces choses : c’est ainsi qu’un moment après ce radeau était arrivé. Il y avait deux gamins dessus ; ils ne pouvaient pas s’y tenir assis, ils étaient forcés de rester debout, les pieds dans l’eau jusqu’aux chevilles, maniant des espèces de godilles qu’ils s’étaient fabriquées eux-mêmes, et, le radeau aussi, ils se l’étaient fabriqué eux-mêmes avec deux ou trois bouts de planches clouées à une traverse et à une moitié de tonneau. Ils étaient tout nus, tout bruns déjà, parce qu’on avait recommencé depuis assez longtemps à pouvoir se baigner, ils n’avaient qu’un petit caleçon à rayures bleues et blanches autour du ventre.

Le radeau venait de paraître en avant du bois de pins ; on les entendait qui criaient et se disputaient ; on entendait :

— Ernest, veille-toi, tu fais pencher la mécanique…

— Non, c’est toi.

— C’est toi, je te dis !