Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/122

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oui, voilà l’autre.

— Mon Dieu ? il lui achète un lit…

Et, là-bas, les deux employés ont encore tiré trois ou quatre cartons ficelés de la voiture, après quoi, en ronflant et soufflant une épaisse vapeur bleue, elle a tourné sur la grève non sans peine, les roues de derrière ayant fini par empiéter sur l’eau où elles sont entrées jusqu’au moyeu.

C’était un vendredi, un vendredi après-midi. Il y avait un peu plus de trois semaines qu’elle était installée chez Rouge. Le samedi matin, alors, elle est partie avec eux pour la pêche ; Rouge l’avait fait asseoir sur le banc d’arrière : « Est-ce que vous sauriez manœuvrer le gouvernail, parce que ça nous servirait bien si vous saviez ; » elle savait. Ils vont sur l’eau dans le matin, les trois, ils vont vers les petites lumières des deux falots qui vous attendent sur leurs moitiés de tonneaux, et que le grand jour a éteintes ou presque, faisant leurs flammes devenir toutes pâles derrière le verre bombé. Ils pêchent. Ils avaient fait bonne pêche. Ils avaient commencé une vie à trois où il semblait bien qu’elle avait sa place ; puis Décosterd est parti pour la gare avec les caisses de poisson. Voilà alors que Rouge, lui, était entré dans la remise, où on voyait une balance, plusieurs paires de rames neuves et vieilles, des nasses empilées dans un coin ; puis, pendus en guirlande le long du mur à des chevilles, les filets qui sont verts, ou sont bleus, ou vert-bleu, parce qu’ils ont été trempés dans le sulfate.