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Depuis toujours ils s’étaient connus et on ne sait pas quand on a passé de se connaître à autre chose. Il y a une ligne de frontière qui n’est marquée que sur la carte et dans les livres ; elle n’est pas visible dans le cœur. Ça se fait sans qu’on sache, et ce qu’on sait ensuite c’est seulement que ça s’est fait ; et maintenant bien sûr qu’elle pouvait venir, même elle se disait qu’elle le devait, sans quoi la mère de Maurice serait étonnée.

Elle a trouvé Madame Busset sur la terrasse :

— Eh ! Émilie.

Mme Busset lisait son journal, assise dans un fauteuil de jonc sous le grand platane ; elle a ôté ses lunettes.

Puis :

— Ma pauvre Émilie, tu arrives trop tard… Mais oui, Maurice est déjà sorti… Ah ! tu ne savais pas… Il m’a dit qu’il y avait une réunion de la société de jeunesse cette après-midi ; c’est pour la fête… Vous n’aviez pas pris rendez-vous ? Ah ! eh bien, assieds-toi… Je suis toute seule, tu me tiendras compagnie. Peut-être qu’il reviendra plus tôt qu’il ne comptait.

Mais Émilie ne s’est pas assise.

Mme Busset a remis ses lunettes et elle a repris son journal, parce qu’elle considérait qu’Émilie était déjà de la famille. C’est seulement quand elle l’a vue rester debout qu’elle lève de nouveau les yeux à travers les verres qui brillaient :

— Tu ne veux pas t’asseoir ? tu as peur de t’ennuyer avec moi ?… Oh ! c’est naturel, tu es jeune. Eh bien, reviens pour le goûter, peut-être que tu le trouveras…