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Il disait :

— Tu comprends, 363 dollars seulement… Et une fois les frais de voyage déduits… Qu’est-ce que ça peut bien coûter, ce voyage ? Et combien de temps est-ce qu’il dure ? hein, sais-tu ?

— Tu n’as qu’à regarder le timbre.

— Oui, trois semaines. Eh bien, compte seulement. Le billet de bateau, le train, la nourriture, l’hôtel…

— Oh ! naturellement, si c’est une affaire que tu cherches, mais la question n’est pas là. Si tu abandonnais ta nièce, qu’est-ce qu’on penserait de toi ? Et puis ce pauvre homme, penses-y un peu ; représente-toi que tu es sur ton lit de mort… Tu es sans parents, sans amis, tu vas mourir, tu laisses une fille ; tu laisses une fille et point d’argent… Ah ! voyons, Milliquet, dis voir, car vers qui te tournerais-tu, à ces moments-là, sinon vers la famille et le pays, quand même tu les aurais quittés depuis cent ans ?… Il s’est dit : « Heureusement que j’ai un frère… » peut-être qu’il a eu juste le temps de faire venir le consul et de lui donner ton adresse…

— Oh ! dit Milliquet, ce n’était pas la bonne ; tu n’as qu’à voir…

Et il montrait à Rouge l’enveloppe toute corrigée, et recorrigée, couverte d’inscriptions au crayon encre, mais Rouge :

— Quelle importance ça a-t-il ? Je te dis seulement une chose, c’est qu’il est mort tranquille, parce qu’il a cru pouvoir compter sur toi. Le reste, ça te regarde…