Page:Ramuz - Histoire du soldat, 1918.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
HISTOIRE DU SOLDAT

Joseph, Joseph le soldat,
Joseph, tu te rappelles bien,
(l’autre continue son chemin,
il continue aussi le sien) ;

et voilà la maison d’école, avec sa cloche et les engins,

Joseph, Joseph, vous vous rappelez bien !

voilà le four, l’auberge et partout des gens, à présent,
des hommes, des femmes, des enfants,
qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce qu’il y a ?
est-ce qu’ils auraient peur de moi ?
vous vous rappelez bien pourtant, Joseph Dupraz,

Joseph !… Une première porte ; une autre qui s’est fermée.
Et une, et une encore, et elles crient, étant rouillées.
Toutes ces portes qu’on entend.
Et lui alors : « Heureusement !… »

c’est qu’il pense à sa mère : elle le voit venir, elle se sauve en criant ;

et il pense : « J’ai ma fiancée… »

Mariée !
Deux enfants !

Grand silence. Puis sourdement.

Ah ! brigand ! bougre de brigand !
je sais qui tu es à présent.
Je comprends, j’y ai mis du temps.

Fort.

Ça n’est pas trois jours, c’est trois ans !…