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Jean est mort, mon petit frère Pierre est mort, ma sœur Martine va mourir : moi aussi, je dois mourir.

Boum !… Seigneur, notre Dieu, protégez-nous dans notre affliction, sans vous on n’est rien, on a terriblement besoin de vous, Seigneur notre Dieu, dans notre misère, ayez pitié de nous, Seigneur.

Boum !… On ne m’avait pourtant pas dit qu’il y avait quelqu’un de si malade. Je n’ai pas vu passer le Saint-Sacrement. Est-ce peut-être pour le vieux Borchat ? On lui avait mis des sangsues.

Boum !… Il faisait un jour tout gris. Ils étaient une centaine d’hommes et une centaine de femmes, ils étaient tout noirs dans le blanc. Les hommes allaient devant, les femmes suivaient. Il y avait sur la bière un drap noir à ornements d’argent, qui étaient des têtes de mort au-dessous de deux os croisés, et les porteurs marchaient au pas afin d’éviter les secousses. Ils montèrent la rue du village, ils passèrent devant la fontaine. On voyait pendre au bord des toits comme des barbes de glaçons. Le grand tilleul qui n’avait plus de feuilles semblait un arbre en fil de fer. On n’entendait point d’autre bruit que celui de ces gros souliers ferrés rabotant ensemble la route gelée et l’éclatement lourd des coups de la grosse cloche, sous lesquels, par moment, tout était écrasé. On tourna la nef, on arriva devant la grille du cimetière. Elle surmonte un petit mur. À des croix de bois peintes en bleu, sont pendues des couronnes de perles, avec un verre bombé sous lequel on voit un bouquet, une inscription, deux mains qui se serrent. On suivit l’allée du milieu. Joseph marchait au premier rang. À ce moment déjà, on dut le soutenir. Mais, quand le trou fut là, ce fut bien autre chose encore : deux hommes le prirent chacun sous un bras…

Est-ce qu’on est seulement entré à l’église ?… il ne sait plus rien, il ne sent plus rien. Ils étaient deux