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II

Lude sortit ce soir-là sans savoir pourquoi, ni où il irait, mais il avait besoin de bouger. Comme sa femme lui demandait s’il rentrerait bientôt, il lui répondit : « Mêle-toi de ce qui te regarde ! »

Elle fut étonnée, parce que son mari l’aimait bien, mais, dans ce ménage aussi, tout était changé depuis quelque temps.

Quelle chose le travaillait, ce Lude ? Lui-même ne savait pas bien quoi ; c’est comme un poids intérieur insupportable dont on voudrait se débarrasser : il partait droit devant soi comme la bête trop chargée qui espère ainsi faire tomber son fardeau.

Depuis la veille, le ciel était couvert. C’est simplement un changement dans la direction du vent, mais ce peu de chose suffit pour que l’aspect des lieux soit entièrement autre à l’œil. Là où auparavant brillait le joli jaune d’or des feuilles, les arbres tendaient des bras nus ; le gazon brouté jusqu’à la racine avait perdu son éclat ; un ciel bas pesait sur les crêtes ; il vous venait, comme aux choses, une grande peine à vivre. C’est ce qui se passait pour Jean Lude. Là était ce travail qu’on a vu, parce qu’il pensait tout en allant : « Comment ai-je pu supporter si longtemps cette existence de misère ? »

Il n’en avait pourtant jamais souffert jusqu’à présent, pour dire ; même peu de gens avaient été plus heureux que lui ; on le citait comme un modèle de bon mari dans la commune.

Il était grand, mince, assez maigre ; il avait le cou long, la pomme d’Adam saillante ; il avait le regard