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quelque grand qu’il fût pour notre colonie, au milieu du désert et sans ravitaillement possible, n’entraînait pas cependant sa destruction ; la plus grande partie des ustensiles, beaucoup d’armes et des bestiaux restaient entre les mains des colons ; quelques semailles étaient déjà effectuées ; enfin, ressource précieuse, le moulin qui avait été construit sur la petite rivière avait échappé aux recherches des Anglais avec tout ce qu’il contenait ; mais, par-dessus tout, on pouvait se fier au courage, à l’énergie et à l’esprit de ressource de ces hommes, qui pour la plupart étaient habitués, depuis plusieurs années, à compter sur eux-mêmes, plus que sur les secours extérieurs.

Port-Royal n’était donc en réalité ni détruit ni tout à fait désespéré ; les sauvages se montrèrent fidèles en ce malheur, et l’on pouvait répondre de leur sympathie ; les colons ne manifestèrent ni faiblesse ni découragement, et Biencourt se prit aussitôt à rassembler les débris de son naufrage. Le moulin et quelques buttes situées sur les défrichements servirent d’abris provisoires, et l’on se hâta de profiter des derniers beaux jours de l’automne, pour construire des logements grossiers, mais chauds, où l’on pût se défendre du froid et de la pluie ; d’autres hommes furent dépêchés dans les forêts pour recueillir des chibens et autres racines, dont on avait expérimenté les qualités durant les précédentes disettes ; les sauvages apportèrent du gibier, dont une partie fut salée ou fumée ; on ramassa jusqu’à des glands. Rien ne fut négligé dans ces préparatifs : l’existence de tout le monde était en jeu.

Au milieu de cette activité générale, l’hiver se présentait déjà en effet avec son cortége glacial et menaçant de frimas, de rigueurs et de dénûment. Jamais encore les Français n’avaient eu à affronter dans ces parages une si terrible épreuve ; elle était d’autant plus terrible que l’ar-