Page:Rambert - Études littéraires, t2, 1890.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et leur sueur dans l’air embrasé monte en brume,
Et bourdonnent autour mille insectes ardents.

Mais qu’importent la soif et la mouche vorace,
Et le soleil cuisant leur dos noir et plissé ?
Ils rêvent en marchant du pays délaissé,
Des forêts de figuiers où s’abrita leur race.

Ils reverront le fleuve échappé des grands monts,
Où nage en mugissant l’hippopotame énorme
Où, blanchis par la lune, et projetant leur forme,
Ils descendaient pour boire en écrasant les joncs.

Aussi, pleins de courage et de lenteur, ils passent
Comme une ligne noire, au sable illimité ;
Et le désert reprend son immobilité
Quand les lourds voyageurs à l’horizon s’effacent.


Avant Leconte de Lisle, la poésie française ne possédait pas de vers pareils. Ils ont une précision de détail et une grandeur d’harmonie qui dépasse tout ce qu’on pourrait croire possible dans cette langue que le vulgaire accuse de sécheresse et de stérilité poétique, et qui, jusqu’à présent, n’a jamais manqué à quiconque a su s’en servir. Quelle apparition que cette noire caravane qui affronte le soleil du désert ! Néanmoins, la suprême beauté du tableau ne tient pas à I’effet pittoresque, mais au sentiment qui le rend expressif, à la morne volupté avec laquelle le poëte se plonge et s’enfonce dans la contemplation d’une nature où il n’y a rien de petit, rien de mesquin, ni d’agité, ou toutes les lignes sont