Cela dit, on peut poser en fait qu’il ne se produit aucune œuvre d’art sans critique, que la critique est toujours de moitié dans les choses parfaites, et que l’artiste pur artiste, le poëte exclusivement poëte, ne se rendant aucun compte de lui-même à lui-même, est un être chimérique, dont l’image ne peut hanter que le cerveau de théoriciens habitués à ne plus distinguer entre l’abstraction et la réalité.
Observez les poëtes les plus naïfs, ceux qui doivent le moins à la réflexion, et toutes les fois qu’il vous sera possible de les prendre sur le fait, vous verrez que l’inspiration ne les a pas dispensés d’un travail d’enfantement, accompagné de reprises, de corrections, de ratures.
Il y a longtemps qu’on ne croit plus à ce La Fontaine dont on disait autrefois qu’il produisait des fables comme les pommiers produisent des pommes, c’est-à-dire sans effort et par le seul penchant de la nature, ou, si l’on en parle encore, c’est pour dire que les plus exquises des fables du fablier sont celles qui ont mis le plus de temps à mûrir, celles qui ont absorbé dans leur suc le plus de sève et de rayons. « La Fontaine corrigeait beaucoup et longtemps », dit Béranger.
On est également revenu d’une illusion semblable à propos de Lamartine. Il était, sans doute, dans la nature de Lamartine de chanter, comme dans celle de La Fontaine de conter. Jamais poëte n’eut la verve