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On peut bien m’énumérer tous les ingrédients qui entrent dans un certain mets, et me rappeler que chacun d’eux m’est agréable, en m’assurant de plus, avec vérité, qu’il est très sain, je reste sourd à toutes ces raisons ; je fais l’essai de ce mets sur ma langue et sur mon palais, est c’est d’après cela (et non d’après des principes universels) que je porte mon jugement.

Voilà qui est net et clair. Est-ce encore du Molière ? Non, c’est du Kant. Le même Kant dit la même chose sous d’autres formes beaucoup plus savantes.

Pour décider si une chose est belle ou si elle ne’est pas, nous n’en rapportons pas la représentation à son objet, au moyen de l’entendement et en vue d’une connaissance, mais au sujet et au sentiment du plaisir ou de la peine, au moyen de l’imagination. Notre jugement n’est donc pas logique, mais esthétique, c’est-à-dire que le principe qui le détermine est purement subjectif.

Si le commencement de la phrase exige quelque attention, la fin ne laisse rien à désirer sous le rapport de la clarté. Un dicton populaire traduit fort bien la pensée de Kant : Chacun son goût.

C’est ainsi que Kant, aidé de Gœthe et de Molière lui-même, nous délivre de Hegel, qui nous avait appris à nous défier de Schlegel, lequel nous avait enseigné à douter de Boileau et de tous les critiques français.

Mais on ne se résigne pas si facilement à manquer de boussole ; aussi ne revient-on des grandes théo-